Faire le deuil d'un lieu
Cet article est le premier d’une série consacrée au deuil. Le deuil, c’est un sujet qui nous touche tous et c’est pour cela qu’il est important d’en parler.
Naturellement, chacun vit un deuil de sa propre façon et si on remarque une espèce de schéma qui se répète à chaque fois, on ne peut vraiment dissocier aussi distinctement les étapes allant du déni à l'acceptation que l’on veut le faire croire. Selon moi et mes expériences, bien sûr.
Quand on parle de deuil, on pense souvent à celui que l’on doit faire d’une personne, généralement après un décès. On oublie que l’on doit aussi faire des deuils amicaux, amoureux mais également de périodes de notre vie ou de lieux.
C’est de cela dont j’ai envie de vous parler aujourd’hui.
Pour aborder ce thème, je vais vous raconter l’histoire de mon premier appartement, celui dans lequel j’ai passé cinq ans de ma vie.
J’ai emménagé dans un petit studio juste après avoir eu mon bac. Je partais à la fac, c’était plus facile pour moi d’habiter dans une ville proche de mon université plutôt que de faire l’aller-retour chez mes parents tous les jours.
Dès que j’ai vu cet appartement, qui était ma deuxième visite, j’ai su qu’il était le bon. Il avait énormément de défauts et n’avait pas été laissé dans le meilleur des états par le locataire précédent mais il correspondait à ce que je cherchais avec sa partie nuit séparée de la pièce à vivre et de la cuisine. Situé dans un quartier calme, à seulement quelques pas du métro et de toutes les commodités, c’était vraiment l’idéal, c’était ce que j’imaginais en quittant mes parents et j’avais ce que je désirais.
Quand j’y étais, je me retrouvais à l’écart de tout et ça me faisait bien. Le soir, je faisais mon chemin du retour dans le calme et même si j’avais un voisin du dessus particulièrement bruyant et odorant (le type ne sortait jamais ses poubelles), j’appréciais y être parce que je m’y sentais chez moi. Cette notion est très importante parce que ce ne sera plus le cas dans l’appartement suivant.
Cet appart m’aura vu tout vivre. Il aura été témoin de mes joies et de certaines de mes plus grosses crises de larmes. Il aura été mon refuge en plein cœur de ma dépression. Une fois que j’y étais et que je coupais mon téléphone, c’était comme si j’étais protégée de tout. Je vous parlerai de la dépression ultérieurement, ce n’est pas le sujet du jour.
J’ai aimé cet appart du plus profond de mon être.
Cet appartement, j’aurais aimé ne jamais devoir en partir.
Quand j’ai reçu un recommandé des proprios me sommant de le quitter pour qu’ils puissent le vendre, j’ai cru que mon monde s’écroulait un peu plus. Mon refuge n’allait plus en être un et j’ai eu beaucoup de mal à me faire à l’idée de le quitter. Surtout que l'on me disait purement et simplement de dégager. La seule chose qui parvenait à me consoler était que j’allais enfin quitter ce voisin nauséabond mais je ne savais pas que j’allais en gagner des aussi pires.
Il a cependant bien fallu que je me mette à la recherche d’un nouvel appartement. Ça a été terriblement laborieux. Les agents immobiliers avaient beau me dire qu’il fallait que je me projette, ça me paraissait impossible. Et puis, j’ai eu affaire à des annonces mensongères et on m’a aussi dit de faire des concessions. À croire que les gens n’avaient que ce mot à la bouche, d'ailleurs. Je n’avais pas envie d’une surface plus petite, je n’avais pas envie d’un autre quartier, je voulais mon appart qui n’était plus le mien.
J’ai fini par trouver un appart qui correspondait à deux de mes critères, c’était mieux que rien du tout. J’avais une surface un peu plus grande et une place de parking, j’ai cependant dû faire une croix sur l’absence de vis-à-vis et une isolation convenable. J’avais dit que si je déménageais, je prendrais un logement avec une chambre. Je me suis à nouveau retrouvée dans un studio, beaucoup moins bien agencé que le premier.
Les murs blancs qui agrandissaient la pièce ont laissé place à une affreuse peinture orange. L’alarme incendie qui était juste en face de mon lit et pas loin de la cuisine me faisait stresser à chaque fois que je faisais à manger. Seule la salle-de-bain spacieuse et plus propre que la précédente trouvait grâce à mes yeux. Le hic, c’est que l’on ne vit pas dans une salle-de-bain. Et puis, il y régnait une odeur dont je n’ai jamais réussi à me débarrasser. Le vis-à-vis m’était insupportable et m’obligeait à fermer mon volet tôt en hiver si je ne voulais pas que les habitants de l’immeuble en face puissent admirer mes moindres faits et gestes.
Cet appartement était meublé de base, pas loué comme tel mais qu’importe. Certes, prendre un appartement déjà meublé, c’est pratique pour déménager. Ça l’est beaucoup moins pour se sentir chez soi.
Là, je n’avais plus de refuge, je n’étais plus chez moi.
J’ai détesté cet endroit.
J’ai détesté les voisins que j’avais. J’ai détesté le quartier dans lequel je vivais. J’ai détesté le manque d’intimité et d’isolation. J’ai détesté prendre cet ascenseur minuscule et les odeurs de bouffe qu’il y avait dans le couloir.
On me disait de passer à autre chose. Comment pouvais-je passer à autre chose dans un endroit où je ne me sentais pas bien et où je regrettais amèrement ce que j'avais quelques temps plus tôt ?
Alors, je ne me plaignais pas. Je faisais comme si j'y étais bien alors qu'en réalité, tous les soirs, je redoutais de rentrer dans cet appartement où je n'étais pas chez moi.
J’habitais dans un immeuble qui se nommait « le Liberté » pourtant, je ne me suis jamais sentie autant enfermée que là-bas. Avouez que c’est assez ironique.
J’y ai pourtant vécu trois ans. On sait à quel point il est compliqué de louer quelque chose et donc, je ne pouvais pas vraiment me permettre de faire la fine bouche alors, j’ai tenu.
J’ai tenu parce que je ne suis pas du genre à renoncer. J’ai tenu parce que je ne voulais pas faire marche arrière. J’ai tenu parce que je n’avais que ça pour moi quand le reste de ma vie partait en lambeaux.
Il aura fallu le covid et le confinement pour que je me décide à quitter cet appart que je n’aimais pas du tout. Ça a été un grand pas en avant pour moi, un pas que je ne regrette pas d’avoir fait car il m'a enfin permis de me sentir libérée. En revanche, je regrette toujours d’avoir dû quitter mon premier appartement parce que, même s’il ne m’appartenait pas, j’y étais chez moi. J’ai toujours un goût amer en y repensant, j’ai toujours du mal à repasser dans le quartier.
Mais c’est ainsi et la vie m’a déjà amenée d’autres choses, plus ou moins belles, et je sais qu’elle m’en amènera encore des nouvelles.
Je ne sais pas si ce sera plus facile un jour de repenser à cet appart, je ne sais pas si je passerai un jour à autre chose mais je sais que je vais continuer à avancer. Ailleurs. Dans un endroit qui, cette fois-ci, me plaît. Un endroit dans lequel je me sens bien. Un endroit dans lequel je suis chez moi.
Littéralement.